L'île au trésor

Alexis
19 oct. 2022
5 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 avr.

Débarquement au bout du monde. Elle s’appelle Vannøya, ils s’appellent Marco, José, Giulia, Evuad, Aurora.

Ensemble ils m’ont fait franchir le 70ème parallèle Nord bien plus vite que prévu.

Le nom de ce blog n’a plus de sens, je suis battu.

Tromsø et le pari du Nord

Avant de rencontrer tout ce beau monde je pars découvrir Tromsø.

La ville est surnommée « le Paris du Nord » je m’attends donc naturellement à retrouver la chaleur humaine du métro un jour de grève, le doux parfum de la rue Mouffetard un samedi soir, la valse des rats la nuit tombée ou la symphonie des klaxons et pétarades des moteurs. Déception rien de tout ça. La ville est agréable avec sa rue principale bordée de magasin aux devantures traditionnelles, ses montagnes environnantes saupoudrées des premières neiges et ses nombreux étudiants qui ramènent de la vie dans le cercle polaire.

Comme je l’ai entendu si souvent venant de norvégien :

There is no bad weather in Norway, only bad clothes - N.P.

On pourrait traduire ça par « certes je ne vois jamais le soleil mais je m’en fou j’ai mon k-way ».

J'en profite donc pour me préparer à affronter l’hiver en me renseignant sur l'équipement optimal auprès de chaque vendeur de chaque magasin, de chaque rue. Étude comparative des prix, avantages et inconvénients des différentes options, tout y passe. J'y vois là un genre de déformation professionnelle du consultant qui a trop fait de benchmark.

Le résultat ? Un seul mot d’ordre : « wool », le dress code local est simple ça me plaît.

Bref j’ai acheté mon matos tout en laine c’est bon maintenant je peux aller au bout du monde.

Coupé du monde

Cette fois je ne suis pas déçu à un peu moins de 2 heures de voiture et 40 minutes de ferry de Tromsø ça y est je rencontre Vannøya.

Officiellement le GPS indique 70°06’02’’N. Le jury retiendra 70° Nord. Objectif atteint.

Au grand virage à l'extrémité Est de l'île sortir de la route principale et tourner à droite sur le chemin de terre, passer les grandes barrières anti-neige, parcourir 500 mètres puis monter sur la colline, virage à gauche en suivant son flanc puis descendre tout droit et nous y voilà.

Les deux maisons sont nichées derrière la colline dans un creux qui les isole de la route et donc du reste du monde. Exactement ce que je suis venu chercher ici.

L’endroit est idéal pour chasser les aurores boréales aucune trace de vie humaine aux alentours. Le lendemain de mon arrivée j’ai la chance d’assister au ballet grandiose de ces voiles de lumières entre les nuages. Mon appareil photo n’est pas assez performant pour capturer la magie de l’instant mais c’est mieux comme ça il ne me reste plus qu’à profiter. Et franchement ça claque merci le soleil pour l’envoi de particules ! Et merci Giulia d’avoir pris des photos souvenirs aussi.

À l'épreuve du temps

À Vannøya le temps s'écoule différemment.

Littéralement surnommée l’île de l’eau il faut apprendre à vivre au rythme de la météo changeante de cette île balayée par les vents et sujette aux caprices du large. Quel plaisir de voir se découvrir les falaises des îles voisines sous un soleil éclatant après une journée de pluie. Plaisir éphémère, certes, mais plaisir quand même ! Ici on prend le temps de profiter.

Cela dit le temps ne paraît jamais long grâce à mes hôtes Giulia, Marco, José et Evuad. Fraîchement arrivés d’Amérique du Sud Giulia et José sont venus tenter l’aventure du grand Nord et sont impatients de découvrir pour la première fois ce que c’est la neige. De ma longue expérience de savoyard je leur explique que c'est froid et blanc pour les détails ils verront bien.

D'ailleurs on la voit déjà sur les montagnes en face c’est l’affaire de quelques semaines avant qu’elle atteigne la maison.

Donc pour se préparer au mieux à l'hiver qui tape à la porte la principale activité est d’organiser le bois pour le sécher et le couper ensuite. Contrairement à la cueillette des haricots verts expérimentée en Suède la philosophie de la découpe du bois à la hache est bien plus simple :

If violence doesn't work, use more violence - H.D.

Ce qui doit être une journée de travail se transforme rapidement en un bon moment de rigolade entre potes avec de la musique électro brésilienne en fond et à fond. Mais bon on n’y passe pas trop de temps non plus eux sont là pour profiter et moi aussi ça tombe bien.

Dès que le temps le permet José m’apprend à pêcher depuis les rochers. Il est indulgent. La première fois je réussis à perdre deux leurres artificiels dans les algues, entortille complètement le fil autour de la canne et manque de renverser le seau avec nos précieuses prises. Mais ça le fait marrer de voir le petit français avec ses deux mains gauches tenter de se la jouer à la norvégienne.

Puis Giulia m’apprend à préparer la pêche du jour autant dire que c'est loin d'être évident surtout avec des petits poissons. Maintenant je comprends mieux son regard noir quand on en ramène des pas assez gros avec José.

Je commence à me faire à ce rythme de vie. Tout paraît simple, fluide et je me sens chez moi auprès d'eux. Mais bientôt la nature de Vannøya nous rattrape et s’impose à nous, impitoyable.

À la vie à la mort

Alors oui il y a les rennes tous mignons qui gambadent en liberté sur l’île mais il y a surtout les aigles, ces gros bâtards.

Un jour alors que les nuages crachent leur pluie sur les fenêtres et que nous savourons notre café Evuad alors si calme au coin du poêle se met à courir partout et à aboyer (parce que oui Evuad est un chien, l’animal de compagnie poilu j’entends).

Nous regardons par la fenêtre, intrigués, et distinguons alors une drôle de forme sombre et longiligne traverser le jardin avec peine. Elle se réfugie sous la maison.

Nous enfilons nos manteaux, sortons de notre nid douillet et découvrons à notre grande surprise une loutre.

Le diagnostic est sans appel elle est gravement blessée et l’inspecteur Marco conclue vite l’enquête : le coupable est un aigle. Malgré nos tentatives pour la secourir elle succombera à ses blessures quelques heures plus tard.

Nous lui improvisons un enterrement digne de ce nom sur le petit promontoir devant la maison. Rest In Peace Aurora, petite loutre partie trop tôt.

Saveurs du voyage

Le reste du séjour est ponctué de ces moments inattendus qui donnent au voyage toute sa saveur comme :

Fêter le week-end au bout du monde dans une soirée lettone, donc bien trop arrosée par définition, puis regretter les shooters de la spécialité ramenée du pays. Après coup je pense que c’était juste de l’essence... Non en fait j'en suis sûr.
Regarder les matchs du PSG commentés en portugais avec le plus grand fan brésilien de l'équipe parisienne. Maintenant je sais où regarder la ligue des champions gratos dommage que je ne suive pas le foot.
Manger de l'authentique raclette avec le vrai fromage des Alpes. Merci Marco d’avoir fait de la place dans tes valises !
Se faire couper les cheveux avec pour seul miroir la mer de Norvège déchaînée : José est sans aucun doute le meilleur coiffeur de Vannøya. Et le seul aussi.
Admirer les aurores boréales tranquillement installé sous la couette depuis son lit, aux premières loges.