Chez René
- Alexis
- 13 nov. 2022
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 avr.
On pourrait essayer de l'imaginer on serait toujours loin de la vérité, il mériterait un livre tout entier : bienvenue chez René.
Après Vannøya petite île perdue dans le nord je vous emmène dans le fjord au sud de Tromsø, au pied des Alpes de Lyngen.

Arrivée en terre un peu connue
Le bus longe les fjords et m'offre une vue spectaculaire sur les montagnes environnantes. On m'avait prévenu, c'est vrai que ça ressemble un peu aux Alpes. Je me dis alors que ça valait le coup de faire plus de 3000km pour avoir l'impression de voir la Dent du Chat qui se jette dans le lac du Bourget (big up la Savoie)... Bon d'accord j'exagère un peu, mais la ressemblance est troublante. Je m'attends presque à voir des têtes connues monter dans le bus.

C'est alors qu'un message de René m'avertissant qu'il part en week-end me tire de mes pensées, il ne sera pas là pour m'accueillir. Étonnant mais pourquoi pas. Finalement c'est Jiři un autre voyageur venu de République Tchèque qui m'ouvre la porte et me fait le tour du propriétaire. Il me raconte les premières semaines de son séjour fournies en anecdotes plus inattendues les unes que les autres et les premiers traits de René commencent à se dessiner. Il a vraiment l'air marrant René.
J'apprends ensuite que le pauvre Jiři pour son premier voyage en solo et son premier workaway passe le plus clair de son temps seul pendant que René vadrouille à droite à gauche. Il a la confiance facile René.
Jiři est content de me voir arriver et je suis content d'avoir un compagnon pour ce petit bout de chemin, c'est toujours plus sympa d'être en équipe quand on travaille mais aussi pour partager un moment après. Surtout que René a tout prévu, les 3 barils de 25 litres qui trônent fièrement sur le bar c'est du vin à la rhubarbe juste pour nous, René il aime pas ça le vin à la rhubarbe.
Huile de coude
Mais pour se désaltérer il faut le mériter. Que ce soit pour la maison ou l'extérieur il y a environ 1000 projets en parallèle. René le dit lui-même ça ne sera jamais vraiment fini, toujours un nouveau projet sur le feu. C'est un constructeur René il a besoin de tous ces projets.
Projet 1 - Construction
La première mission c'est l'isolation du jardin d'hiver pour finir ce petit coin d'Asie du fond de la Norvège. Ça lui rappelle ses voyages dans les pays chauds, il aime pas le froid René.

Comme on n'a pas vraiment d'instruction et que notre maître d'œuvre est absent on enfile nos tenues de travail, on s'arme d'agrafeuse, de cutter, d'un marteau avec quelques clous pour faire genre et de tout notre bon sens, évidemment.
La tâche est ponctuée d'intenses sessions de réflexions avec Jiři pour remplir au mieux notre mission :
" T'es sûr qu'il faut le mettre avant ce truc ? Non mais ça a l'air de tenir comme ça"
"On commence de quel côté ? T'as une pièce pour un pile ou face ?"
"Ça devrait ressembler à ça ? Aucune idée mais ça a l'air de tenir"
On n'est pas sur un niveau de finition exemplaire mais ça ressemble à quelque chose. Enfin c'est ce qu'on se dit.

Projet 2 - Terrassement
Mais René il trouve qu'un jardin d'hiver c'est triste tout seul. Alors pourquoi ne pas y ajouter un jacuzzi extérieur pour profiter des aurores boréales ? Profiter de la vie il en fait sa spécialité René.
Il balance 2-3 coups de pelleteuse pour faire un peu de place dans le jardin puis arrive un camion rempli de graviers. Ça va en faire des coups de pelle, il faut le niveler le terrain. Mais avant les coups de pelle il y a les coups de masse, il faut les casser les blocs de gravier gelés. Parce que oui on a attendu qu'il fasse bien froid pour faire tout ça sinon ça n'aurait pas été drôle.

Alors qu'on joue de la pelle et de la masse, Jiři m'interpelle pour me faire remarquer qu'avec nos bleus de travail et nos visages salis par la terre on ressemble à deux Daltons en train de casser des cailloux dans une BD de Lucky Luke.
Et les questions arrivent : qu'est-ce qu'on fait là ? Pourquoi s'épuiser au bout du monde à casser des cailloux comme des prisonniers ? Est-ce que c'est ça le voyage ? Quel plaisir on en tire de tout ça ?
Ah oui ça me revient, on prépare le terrain et ensuite on boira du vin dans le jacuzzi jusqu'au petit matin. Le jeu en vaut la chandelle.
Projet 3 - Destruction
Avant que j'arrive, Jiři et René ont démoli une maisonnette en bois dont les restes jonchent encore le sol. Notre mission, qu'on a tout de suite acceptée, est de faire disparaître toute trace de l'ancienne habitation. En gros on fait un tas de débris et on y met le feu, désolé la planète mais la déchetterie c'est trop chère, parole de René.
Faire le tas c'est facile même quand il pleut, mettre le feu à du bois trempé et de la laine de roche imbibée d'eau un peu moins. Problème donc solution de René, utiliser de la vieille huile moteur et de l'essence pour allumer le feu, désolé encore la planète.
Ici on a le droit de ne brûler que du bois dans son jardin et disons que du bois c'est pas la majorité de ce qu'on a à faire disparaître. Donc pour éviter d'attirer les regards indiscrets sur la fumée qui nous trahit par sa couleur on attend la nuit, c'est à dire un bon 15h30. Comme on ne veut pas mettre le feu à la forêt on fait un bûcher intermédiaire histoire de contrôler un minimum le brasier qu'on s'apprête à créer. Tentative infructueuse, l'essence ça flambe d'un coup, ça met le feu à rien du tout et en plus ça fait un peu peur les déflagrations à chaque fois qu'on approche la flamme du briquet. Pas de brasier donc mais juste un petit feu qu'on allume à l'ancienne pour faire disparaître difficilement 1 mètre cube de débris sur les 12 au total. On n'est pas sorti de l'auberge. En plus il pleut, il fait froid, abandon de la mission.

Une fois Jiři parti et le gel aussi j'y retourne avec une information précieuse : c'est du diesel qu'il faut utiliser avec l'huile moteur, pas de l'essence. Évidemment ! Des lointains cours de physique me reviennent, un moteur diesel et un moteur essence c'est pas pareil, tout s'éclaire, je vais le réduire en cendres ce gros tas.
Cette fois pas de brasier intermédiaire pour contrôler l'expérience, René me dit que si la forêt flambe c'est pas grave de toute façon il veut s'en débarrasser (une nouvelle fois, pardon la planète). D'accord, faisons comme ça. Je prépare le diabolique cocktail et enclenche le mode pyromane et ça marche bien les hydrocarbures, trop bien. Pas la peine de lutter contre les éléments, malgré la pluie fine qui m'accompagne il n'y a plus moyen de contrôler le monstre de feu.
Il ne s'éteindra complètement que le lendemain midi ne laissant derrière lui que quelques morceaux de métal tordus par la chaleur.

Projet 4 - Organisation
René les 1000 projets son point fort c'est pas d'être organisé. Et vas-y que je te trimballe de la terre, que je te trimballe des rochers, il a la pelleteuse facile le René. Mais quand il s'agit de ranger les outils à leurs places c'est une autre paire de manche. D'ailleurs les missions commencent systématiquement par un jeu de piste pour trouver les bons outils dans le capharnaüm ambiant. Donc on prend notre courage à quatre mains avec Jiři et c'est parti.
On commence avec le garage : on porte, déplace, jette pour ensuite tout nettoyer et tout ranger, enfin.
Puis on continue avec la terrasse et même combat : porter, trier, jeter, nettoyer pour tout ranger, enfin. C'est étrangement satisfaisant de voir tout ce tintouin désormais bien organisé même si on sait qu'une fois qu'on sera parti la tornade René s'abattra bien vite sur l'atelier. Il aime pas trop ranger René.


Évidemment tout ce qui ne trouve plus sa place se retrouve directement dans la mission 3 (voir détail ci-dessus).
La belle vie
Vient ensuite le moment de profiter tous ensemble. René nous fait découvrir sa culture à travers des bons plats traditionnels chargés d'histoire, depuis la langue de cabillaud jusqu'au renne en passant par quantité d'autre trucs plus ou moins avouables (et définitivement pas végétariens, désolé les amis des animaux). Parce que René est norvégien, jusque là pas de scoop, mais surtout Saami et je vous arrête tout de suite rien à voir avec Scoubidou. Les Saami c'est le peuple autochtone du nord de la Scandinavie et comme ils ont pris un peu cher à cause des européens ils ont un statut particulier pour protéger leur culture. Par exemple c'est les seuls à pouvoir élever des rennes et à pouvoir tirer sur votre chien s'il est trop menaçant avec un renne. Vous êtes prévenu, si vous venez faites gaffe à votre chien.
Et puis il y a la tradition du vendredi soir. Au menu musique Saami beaucoup trop forte, gin qui coule à flot et discussions jusqu'au petit matin pour refaire le monde.
Désormais on peut même ponctuer tout ça de passages dans le jacuzzi fraîchement installé, pas mal non ?
Et une fois qu'on a assez refait le monde et que l'inspiration commence à monter place aux bonnes idées. La meilleure c'est peut-être le concours de tir à la carabine improvisé au milieu de la nuit : France vs République Tchèque en 3 rounds, 4 tirs par rounds, arbitrage aux jumelles. Malheureusement pas de suspense, ce n'est pas la Marseillaise qu'on a joué en fin de concours. Il est balèze Jiři. Ou alors c'est moi qui suis mauvais. Sans me dévaloriser disons que le Martin Fourcade qui sommeille en moi est resté couché ce soir là, j'ai quand même réussi à me prendre la lunette de la carabine dans l'arcade dès le premier tir. J'accepte ma défaite.
Le vendredi il m'avait dit que c'était son jour préféré René, maintenant je comprends pourquoi. Il en a même fait une expression, le "Friday feeling" littéralement "Aujourd'hui pas de travail on profite". Bien vu René.
Peut-être commencez vous à comprendre qui est Monsieur René mais ne vous méprenez pas, mille anecdotes ne suffiraient pas à peindre le portrait d'un personnage aussi haut en couleurs.
Le meilleur moyen c'est d'aller le rencontrer et je peux vous dire que jamais vous ne trouverez sa porte fermée. Il est comme ça René.
Bonus
Dans le jardin d'hiver un vendredi soir à refaire le monde
🎶 Don't stop me now - Queen
Scoubi ? Samiiiiiiiiii !
Tu as remisé ta moustache pour l'hiver ?
À cet instant précise où je cherche une autre blague à faire, quelqu'un dans mon train demande à un autre : "Are you from Norway ?
- Yeah"
... 😱
Et pour mettre en application ce que j'ai appris sur ce blog, je suis allé le voir :
"Hi, I overheard you're from Norway?
- Yeah...
- My brother is in Norway !
- Ok..."
J'ai appris qu'il était originaire du Sud en disant que tu étais à Tromso. Bilan : il était clairement pas rassuré de parler à un inconnu !