Cap vers le Nord
- Alexis
- 5 oct. 2022
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 avr.
Remonter la côte norvégienne au mois de Septembre c'est comme voyager dans le temps. L'été laisse petit à petit place à l'automne et son dégradé de jaune au rouge.
Je décide de faire le voyage en 3 fois pour 3 fois plus de plaisir :
Trondheim - Ørnes
Ørnes - Sortland
Sortland - Tromsø

Changement de décor et de moyen de transport, la croisière s'amuse sur les côtes aux montagnes déchirées.
Croisière de luxe
Après les fjords, passer quelques jours à Trondheim a permis de retrouver un peu de lien social : merci Magnus aka TheKingOfBikes pour l'accueil et merci Clément pour m'avoir fait faire la tournée des bars ! Ça fait pas de mal de pouvoir parler français avec un compatriote.
Mais j'entends déjà les 3 coups caractéristiques de la corne de brume, l'embarquement est imminent, le Polarlys s'avance lentement vers le quai. J'ai un peu de mal à voir la partie "express" de "l'express côtier" vendu par l'armateur mais bon, qui suis-je pour juger ?

Dès la montée à bord je me demande ce que je fais là. La moyenne d'âge oscille entre 80 et 120 ans, le navire est luxueusement aménagé et à 11:00 certains de mes compagnons de voyage déambulent déjà avec une coupe de champagne à la main. Autant dire que je tranche un peu avec mon look de randonneur et ma tente sur le dos. Les regards se font d'autant plus insistants lorsque j'entreprends de trancher mes tomates, couper mon fromage, trier ma salade et préparer mes tartines au milieu du salon d'observation. Au menu du restaurant du navire ? Caviar, écrevisses fraîchement pêchées et le verre de Chardonnay pour accompagner. Franchement mes tartines elles sont plus stylées.

Mais ça y est je me souviens, si j'ai pu réserver un trajet sur ce bateau hors de prix c'est grâce à Halvald ! Il ne me connaît pas, je ne l'ai jamais vu mais alors qu'il refusait gentiment de m'héberger sur Trondheim et qu'on échangeait quelques messages, il m'a envoyé un coupon de réduction parce qu'il travaille justement chez Hurtigruten, l'armateur des express côtiers. Et hop -50% cadeau, merci mec !
Une fois passée la découverte de l'ambiance croisière je peux pleinement profiter du paysage qui défile. Non je plaisante. Les nuages, le brouillard et la pluie m'offrent un nuancier de gris sur fond gris. Je comprends mieux pourquoi ça boit des grands martinis au bar. Quand on est aux aguets on peut apercevoir un bout de montagne et quand on a de la chance voir quelques feuilles de toutes les couleurs. L'automne dans toute sa splendeur.
Le seul truc à pas louper c'est le passage du cercle arctique. Annonce sonore, tous les passagers accourent sur le pont (enfin chacun à son rythme, rapport à la moyenne d'âge) et chacun entreprend de minutieusement mitrailler l'endroit avec son téléphone flambant neuf ou son appareil photo argentique. Moi qui m'attendais à un grand cercle lumineux bleu clair qui traverse terre et mer avec une inscription dorée genre "Polar Circle - 66°33'N" je suis déçu. C'est juste un bout de rocher dans la mer avec un globe rouillé dessus qu'on voit même pas bien à cause de la brume.

La randonnée en 3 épreuves
Aurevoir les cheveux blancs, mon premier stop est à Ørnes et j'ai pas mal de chemin à faire avant d'atteindre l'objectif du jour au bout du fjord et en haut de la montagne.
Épreuve 1 - Route barrée
À peine lancé sur le début du chemin que s'oppose à moi un premier obstacle. Une porte en bois barre l'accès au seul pont qui enjambe le torrent. Pas cool.
J'envisage toutes les pistes car renoncer n'est pas une option.
Traverser le torrent en sautant de pierre en pierre tel un cabri
Statut : abandon ❌️
Cause : sac de désormais 15kg sur le dos, pierres glissantes, courant déchaîné, bilan trop risqué
Casser la chaîne qui maintient la porte fermée, personne ne saura que c'est moi
Statut : abandon ❌️
Cause : chaîne trop résistante, pas bien de casser des choses pas à soi
Casser la porte qui me barre la route
Statut : abandon ❌️
Cause : bois trop résistant, toujours pas bien de casser des choses pas à soi
Forcer le cadenas qui tient la chaîne et donc maintient la porte fermée
Statut : abandon ❌️
Cause : cadenas à serrure, ne sait pas crocheter une serrure
Faire le cochon pendu sur les câbles qui maintiennent le pont
Statut : abandon ❌️
Cause : toujours sac de 15kg, pas assez de pratique, seulement vu dans les films, bilan trop risqué
Passer au dessus de la porte
Statut : succès ✅️
Cause : solution la plus simple, peut faire passer le sac en premier, agilité du babouin
Épreuve 2 - Escalier infini et infiniment glissant
Je comprends mieux pourquoi la route est barrée. L'escalier est raide, glissant et des fois il manque des marches. Je peux même pas dire que la vue vaut le coup parce que je nage en plein brouillard. Donc le jeu c'est juste de pas glisser mais dans ma tête j'ai l'impression d'être Indiana Jones qui gravit les marches d'un temple maudit. Ok j'ai peut-être un peu tendance à m'emballer.

Une fois arrivé en haut je pense que le plus dur est fait mais que nenni ! J'en oublie la troisième épreuve, moins impressionnante mais bien plus fourbe.
Épreuve 3 - Pluie pluie pluie
Ici c'est déjà l'automne donc logiquement il pleut. Sur 6 heures de randonnée j'en passe 4 avec le pantalon trempé, les pieds qui font splotch splotch dans les chaussures et une crainte, celle de dormir dans la tente ce soir sous le pluie et sans pouvoir sécher.
Ma seule lueur d'espoir c'est un refuge non gardé censé être ouvert contrairement à la majorité des refuges qui s'ouvre avec une clé spéciale que je n'ai pas trouvé utile de payer. Je me vois déjà arriver devant le cabanon et me poser les mêmes questions que pour l'épreuve 1 : grand coup de pied dans la porte ? Péter une vitre ? Passer par la cheminée ?
Plus vite j'arrive et plus vite je suis fixé, mais je pense que le plus simple ça reste de péter une vitre c'est rarement du double vitrage. Mais dans ces conditions de doute et de pieds qui font splotch splotch j'ai un peu de mal à profiter de la nature qui m'entoure. Alors oui les feuilles de toutes les couleurs c'est beau, les montagnes avec les nuages pas mal non plus, mais avec les seaux d'eau qui tombent ça perd de son charme.
Finalement le refuge est ouvert comme prévu et j'y crois à peine tellement c'est tout confort : un poêle avec du bois déjà coupé, un salon/salle à manger avec cuisine ouverte, des grandes fenêtres pour regarder la pluie tomber et une chambre avec lit 2 places.

Ni une ni deux je blinde le poêle à bois et fais monter la température pour sécher toute ma panoplie. Une fois qu'il fait un bon 22°C je finis mon paquet de cacahuètes et file me coucher dans ma chambre de luxe, demain est un autre jour.
Et c'est vrai demain est vraiment un autre jour. Grand soleil dehors et chaleur estivale dans le chalet je peux enfin profiter de la vue sur le lac, les montagnes et ce fameux dégradé jaune, orange, rouge que j'ai parcouru un peu vite la veille.
C'est beau, allé on se casse.
Épreuve bonus - Nuit en ville
Maintenant je dois redescendre de l'autre côté de la montagne, trouver une voiture pour me ramener à mon point de départ et poser ma tente pas trop loin du quai à Ørnes pour prendre le bateau le lendemain. Je saute la partie descente sous un soleil radieux car à part dire que c'est vraiment très joli j'ai pas beaucoup mieux. Pour l'auto-stop c'est la même, rien de nouveau tout passe crème (merci Nors le skieur invétéré et Heidi l'institutrice passionnée). C'est au moment de chercher le bivouac qu'honnêtement ça se gatte.
La ville est relativement étendue et la nature environnante marécageuse. Je sors d'une zone résidentielle et en avançant sur un chemin forestier vois deux élans qui se carapatent aussitôt. Et si c'était un signe ? Et s'ils avaient vu ma tente et comprenaient que je cherche un coin pour bivouaquer ? Je crapahute 1 heure dans les branches pour me hisser sur la colline d'où ils venaient et l'emplacement est nul. C'est la fatigue qui parle, ils n'avaient rien compris ces cons là.
Demi-tour et retour en ville où je tente le quitte ou double sur une maison abandonnée à côté du port. L'idée me vient de 2 aventuriers à vélo rencontrés à Trondheim, coutumiers de la nuit arrêt de bus, entrepôt abandonné ou toute construction avec un minimum de murs et de toit.

Jackpot ! Ça sent la rouille, les fenêtres sont cassées, le plancher par endroit défoncé, des canettes traînent à droite à gauche, c'est parfait. Je suis à l'abri des intempéries et en plus j'ai une vue sur le port. Demain était bien un autre jour.
La majesté des îles du Nord
Le MS Richard With creuse doucement son sillon dans les eaux calmes du fjord. Le soleil est de la partie. J'ai l'impression d'être dans un clip promotionnel pour Hurtigruten.

Changement de décor donc et dernière croisière champagne/petits fours avant d'arriver dans les îles Vesterålen, les sœurs des Lofoten.
Je ne fais plus attention aux cheveux de riche dans les fauteuils, aux coupes de champagne du matin ou aux regards intrigués quand je traverse les salons. J'ai mes petites habitudes :
Installation du camp éphémère sur un canapé moelleux avec vue sur la côte tant qu'à faire
Déballage puis remballage de mes affaires pour opérer un tactique changement de vêtements
Débarbouillage dans les toilettes handicapées, pas bien mais il y a plus de place et moins de passage
Petit café à 3,8€, ça pique mais le barman est sympa il me fait le refill gratuit. J'espère au passage que c'est par sympathie et pas par pitié
Planification des prochains jours avec les itinéraires de randonnée, la vérification de la météo, les potentiels points de chute pour bivouaquer et les envois de demandes pour surfer sur des canapés
Je lève alors la tête de mes cartes histoire de vérifier si c'est toujours beau dehors et je me prends un mur, celui des Lofoten.

C'est d'autant plus impressionnant avec le soleil couchant, comme si j'avais atteint le bout du monde, comme si de l'autre côté de ces montagnes il n'y avait plus rien.
Mais les Lofoten c'est trop touristique pour moi, tout le monde va là-bas alors je pars randonner sur les îles Vesterålen juste à côté. Et je ne suis pas déçu les paysages sont à couper le souffle ! Les montées bien raides aussi sont à couper le souffle. Et puis il y a le vent qui souffle aussi.
Je commence par la traversée d'une petite île avec un chemin qui longe une crête. Bon choix même si l'itinéraire est un poil aventureux par endroit car la vue est imprenable des 2 côtés.
Puis comme d'habitude il faut trouver un coin où dormir. Cette fois ce n'est pas la pluie que je redoute mais plutôt le vent de la mer qui balaye chaque recoin de l'île. Alors que je vais céder à prendre une chambre dans un motel miteux pour éviter de m'envoler je tente une demande de couchsurfing de dernière minute aux 9 personnes inscrites dans les alentours. Et ça marche. Ce soir ma bonne étoile s'appelle Heidi.
Je récupère les clés de son appartement à son boulot, pars faire quelques provisions et lui prépare mon gâteau signature pour la remercier. Cette fois il est bien cuit.
Le lendemain on part faire une petite randonnée pour profiter du beau temps avec comme récompense café et sveler (le pancake local) en arrivant en haut, la vraie vie à la norvégienne quoi. Et puis pour aller à fond dans le cliché je profite de ma première aurore boréale le soir. Quelle belle journée.

Puis dernière randonnée avant de rejoindre Tromsø. Je m'exporte à l'extrémité nord de Langøya sur le Dronningruta, le sentier de la reine. Toujours pas compris d'où vient ce nom mais toujours pas cherché non plus.
La belle surprise c'est cette plage de sable fin nichée entre les montagnes pour conclure la boucle, emplacement d'un village de pêcheur de plus de 1000 ans dont, d'après les panneaux, on peut deviner les vestiges. En cherchant bien à part de l'herbe, des cailloux et du sable je vois pas grand chose mais c'est pas bien grave je m'en remettrai.

C'est ainsi que se conclue cette traversée de la Norvège, le MS Trollfjord est ma dernière embarcation pour Tromsø.
Quand je l'attends sagement à 3:00 du matin tout seul sur les docks je me dis que je reviendrai dans ces îles.
Et pourquoi pas m'y établir quelques mois ? Après tout la suite du voyage reste à écrire. La seule limite c'est mon imagination...

Vers l'infini et au-delà 🚀
Bonus
En faisant du bateau entouré de petites vieilles et de petits vieux
🎶 I'm on a boat - The Lonely Island
I'm on a boat!
Paysages incroyables même en photos, et quelles aventures ! C'est plutôt "Vers le Nord, et au-delà" 😉